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Exploration du réel et de l'imaginaire : rencontre avec Eden Tinto Collins


Jusqu'au 25 mai, le Beursschouwburg accueille “Roaming the Imaginal”, une exposition signée Eden Tinto Collins, lauréate du Prix Ricard 2023. L’artiste, qui expose pour la première fois en Belgique, revient sur l’origine de ses œuvres et les nombreuses influences numériques qui ont façonné son monde imaginal.

Pouvez-vous nous présenter votre travail en tant qu'artiste plasticienne hypermédia et nous expliquer ce que vous entendez par ce terme ?

Ce que je veux dire par hypermédia, c’est que je me concentre sur l’installation de dispositifs concrets, qui ne se terminent pas là où on les voit. Il y a, dans ce que je propose, toujours une relation avec le monde imaginal et avec le monde numérique ou virtuel. 

Roaming” c’est, comme le titre l’indique, une exposition en mouvement, en déplacement. Dans le vocabulaire de télécommunication actuel, le roaming c'est l'itinérance des informations, des données, c’est la façon dont elles se déplacent et transitent. A travers mes œuvres, je propose une sorte de balade cosmique.

En entrant dans la galerie, on est tout de suite frappé par ce sol aux aspects oniriques. Pourriez-vous nous éclairer sur le choix de cette représentation et sa signification dans le contexte de votre travail artistique ?

Le sol représente une sorte de fresque glitchée qui rappelle un filet, une toile. Pour moi, Internet signifie « entre les filets » ou “in the net”. Ce filet participe à une métaphore intéressante, qui fait écho à l’espace connecté, mais aussi à la pêche. J’ai délibérément choisi un lexique et une sémantique évoquant l’océan, le stream, l’eau, un genre de bain numérique dans lequel on serait tout le temps immergé, qui n’a pas de début ni de fin. Ce bain numérique reflète notre réalité et rappelle les câbles sous-marins qui traversent les océans et qui nous permettent aujourd’hui d’être connectés. Ce sont ces mêmes câbles qui refont les chemins de la traite atlantique et qui questionnent la façon dont le monde est conçu.

J’ai toujours baigné dans cet imaginaire, depuis l’arrivée du premier ordinateur chez moi avec Windows 95. Je n’oublierai jamais ce son du handshake (poignée de main) avec le modem, ce bruit high pitch (aigu) qui rappelle le dauphin. C’était le début d’une mythologie dont je ne me suis jamais vraiment sortie. Ces jeux de mots deviennent, au fur et à mesure, des obsessions.

La sculpture centrale « Jumelage par déformation » de votre exposition attire l'attention. Pourriez-vous nous parler de son origine et de sa symbolique, en relation avec les mondes numériques et réels que vous explorez ?

Je ne suis pas sculptrice, mais j’assemble des éléments pour créer comme des agrégats de matières, d’éléments qui font sens par rapport à cette sémantique du Net. Cette sculpture rassemble des éléments minéraux qui évoquent l’extraction nécessaire pour accéder aux mondes numériques. C’est une façon de rappeler que rien n’est réellement virtuel, que même ce qu’on ne voit pas a un contrepoids réel. Et plus particulièrement aujourd’hui où l’on a tendance à se connecter sans même ne plus avoir besoin de cliquer. Ce sont des gestes qui s’effacent au fur et à mesure.

L’idée était de fusionner ces deux mondes pour révéler une image non plus à travers un écran, mais sur une surface minérale. Pour cette sculpture, j’ai utilisé la technique du Pepper's Ghost du XIXe siècle. C’était une technique souvent utilisée au théâtre pour créer des manifestations fantomatiques. Le personnage en mouvement, nommé Jane Dark, est un personnage que j’ai créé en pensant à Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans. Ce qui est intéressant c’est que ce personnage de Jane Dark fait écho au mythe du roman national français, qui semble aujourd’hui se fragmenter à travers des pôles qui s'extrémisent de plus en plus.

Ce qui m’intéresse, c’est cette confrontation entre cette figure et notre actualité. Par exemple, il y a eu cette situation où Jean-Marie Le Pen, lors d’une sortie où il venait se recueillir auprès de la statue de Jean d’Arc à la place des Pyramides, a lancé un appel au retour de l’héroïne avec ce fameux « Jeanne, au secours ! ». C’est de là que l’idée de Jeanne dans sa version DARK est née, en prenant au premier degré cet appel au secours et en se demandant ce qu’elle fait là. Pour moi, Jane dark est un personnage qui arrive d’un climat qui est celui des icônes, un climat imaginal et qui peine à comprendre la mission pour laquelle elle a été envoyée.

En observant l'écran au sol « Our Spin Dr. », nous sommes intrigués par l'artiste qui y performe. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette performance et sa signification dans le cadre de votre exposition ?

Il s’agit de Michelle Tshibola, une artiste avec qui je collabore depuis longtemps. Pour moi, il était crucial de présenter le spin (l’effet de rotation) et la pratique de la pole dance. Je trouvais ça fascinant de relier ce mouvement qui n’est pas si simple, qui demande beaucoup de force, de travail, de sculpter son corps sans relâche, pour en faire un médium vecteur d'une émotion, d'une énergie.

Le mouvement du spin, le fait de tourner comme un dauphin, autour de soi-même, donc de se révolutionner, c’est en l'occurrence un mouvement planétaire universel. C'est quelque chose que l’on fait pour vivre qu’on le veuille ou non.

J’ai trouvé pertinent de lier ce vocabulaire du spin à celui de la politique, du spin docteur ou du doreur ou doreuse d'images. Ici, Michelle est assimilée à l’un de ces “spin doctors”. C’est un rôle qu’elle incarne, peut-être involontairement, à travers son engagement à cultiver une communauté et à produire des spectacles. Au fur et à mesure, le travail est tellement bien réalisé, les spectacles sont tellement beaux et la communauté grandit tellement que ça devient un réel univers qui nous permet vraiment d'aller mieux. Ce sont des endroits où l’on peut se retrouver, explorer justement sa féminité, sa queerness, son rapport au genre, s'exprimer de façon très libre. C'est très rare en fait, de réussir à institutionnaliser cette relation, cette vision du monde.